L'abri Sadi Carnot à Brest


9 septembre1944 le drame de l'abri Sadi Carnot...
Entrée actuelle de l'abri Sadi Carnot à Brest, sous le pont de Recouvrance en 2003. Porte Tourville.
Le soir du 8 septembre 1944 Roland André obtient du lieutenant commandant, l'autorisation de se rendre compte si l'immeuble qu'il habite au 2 rue Marcellin Berthelot existe encore afin d'y récupérer du linge. Il rejoindra à l'abri Sadi Carnot ses camarades de planton.

A 02h40, dans la nuit il revient à l'arsenal, complètement traumatisé, portant des blessures à la figure, aux mains ainsi qu'au ventre, déclarant que l'abri qu' il vient de quitter est en feu après une forte explosion.
Ne pouvant avoir de renseignements plus précis, vu son affolement, et après avoir délibéré avec les commandants Michaud et Toul (ce dernier commandant des marins-pompiers), il est décidé que deux sapeurs seraient envoyés en reconnaissance, accompagnés de deux soldats allemands (interdiction nous étant faite de circuler entre 22h00 et 07h00).
A 02h55, je pars avec le sapeur Pondaven accompagnés de deux soldats allemands. Nous quittons l'abri par le n° 65 de la rue Louis Pasteur, sous une violente canonnade.
Nos escorteurs semblent pris de peur et nous avons beaucoup de peine à leur faire quitter l' abri.
Nous descendons la rue qui n' est plus qu' un tas de ruines, et après plusieurs " plats ventres ", nous arrivons à proximité de l' abri.
Une longue flamme sort par intermittence à chaque explosion ( exactement comme un tir de canon ) et va presque lécher le mur de l' arsenal distant d' une vingtaine de mètres.
Entrée Sadi Carnot porte Tourville en 1944.
Des objets divers et des corps projetés de l'abri, ainsi que deux véhicules brûlent à quelques mètres de l'entrée.
Il nous est impossible d'approcher tant la chaleur est intense, et, jugeant qu'il n'a rien de possible à tenter nous faisons demi-tour et faisons comprendre à nos deux allemands qu'il faut diriger notre reconnaissance vers l'autre entrée, place Carnot.
Toujours sous les bombardements, nous remontons la rue Pasteur et de retour devant le n° 65, nos accompagnateurs veulent rentrer à l'abri.
Les intercalant entre nous, nous continuons notre progression vers la rue Suffren.
Arrivés à proximité de l'abri Suffren Wilson, entièrement occupé par la troupe, nous nous précipitons pour nous mettre à l'abri car les tirs d'obus s'intensifient.
Nous sommes stoppés par une sentinelle qui veut nous interdire d' entrer.
Heureusement, nos deux gardes s'expliquent et parlementent. Après quelques palabres, ces derniers ne veulent plus nous suivre et nous remontons
tout les deux dans la rue Suffren.
Tant bien que mal, nous arrivons rue Traverse dans l' entrée du magasin le Loncour ou des membres de l' ADP nous apprennent qu' une quarantaine de personnes seulement, sont sorties de l'abri et sont retranchées dans les caves des maisons voisines.
Nous arrivons devant l'abri. Une énorme flamme haute d'une trentaine de mètres sort de l'édifice, comme un immense chalumeau.
La chaleur est intense et nous jugeons inutile et impossible toute intervention. Nous retournons sur nos pas, et à l'abri Suffren, nous reprenons nos convoyeurs qui cette fois, ne se font pas prier pour prendre le chemin du retour.
Je rends compte de la reconnaissance au lieutenant commandant Charles Carquin, il est à ce moment 05h10mm. A 7h00, une patrouille de marins pompiers part en reconnaissance côté Tourville .
A 08 heures, un sous-officier allemand vient demander de mettre à sa disposition quelqu'un qui connaît bien l'abri, pour guider les pompiers allemands qui ont commencé l'extinction de l'incendie.
Désigné par le lieutenant commandant, je pars avec l'allemand. Un véhicule est à proximité de l'abri et une moto pompe en position sur les bords de la penfeld dans l'arsenal.
Par sécurité, et pour ma sauvegarde personnelle, je me munie de moyens d' éclairage (torches de résine et de magnésium) qui me permettent d'assurer l'éclairage à mesure que nous avançons dans l'abri.
Une grosse lance est mise en manoeuvre pour attaquer le feu dans la partie où étaient entreposées les munitions (alvéoles à droite en entrant depuis le bas se l'abri), puis, pour plus de maniabilité, transformée en deux petites lances.
Un projecteur branché sur le véhicule est mis en place, éclairant notre progression.
Notre avance est assez lente, car il y a sur le sol de nombreux objets métalliques et surtout des restes de cadavres déchiquetés et au trois quart carbonisés.
Il fait une forte chaleur, les murs ayant été surchauffés durant l'explosion. De temps en temps, derrière nous, quelques foyers existent et quelques projectiles éclatent (balles, grenades..).
Une des alvéoles de l'abri,plus au moins laissé tel qu'en 1944.
En arrivant au niveau de la galerie des WC, croyant y trouver une sortie, les porte-lances changent de direction.
Je suis obligé de les remettre dans le bon sens, tout en éclairant de façon à éviter le plus possible les débris humains qui jonchent le sol.
Au fur et à mesure que nous avançons, nous trouvons de plus en plus de cadavres complètement carbonisés.
Entrée des hygiènes
Reste d'inscription Allemande
RAUCHEN
Latrines
Baquet pour se laver
Un malheureux étendu sur son lit fût entièrement déshydraté et réduit à l'état de "momie" tant la chaleur fût élevée.
Il y a eu plus de 1000 degrés à l'intérieur des sous terrains ...
Partout des faces grimaçantes et des corps rétrécis. Hommes, femmes, enfants. Je ferme les yeux devant cette vision d'enfer et d'horreur.
Un pompier allemand lâche sa lance et s'enfuit...
Après ce moment de stupeur, je ramasse la lance et avance vers le feu afin de surmonter mon effroi. Nous continuons l'avance pieds à pieds.
Vers 11h30, nous sommes arrivés à peu près ou existait la séparation qui avait était faite entre la troupe et la population donc au bout de la partie occupée par les allemands, lorsqu'une forte explosion se produit derrière nous...
Vue des longs couloirs de l'abri.
La peur nous prend. Certains soldats mettent leur masque à gaz.
Je me jette sur le sol en entourant mon visage d'une serviette que je porte en permanence autour du cou. Le nuage passe, nous avons été quitte pour une grande frayeur. Nous reprenons notre avance et à midi, le sous officier nous demande d'arrêter, nous revenons vers le projecteur.
Les allemands se mettent à casser la croûte, gâteaux secs arrosés de rhum et apéritif.
(Puisque la garnison allemande s'était octroyée la moitié de l'abri et l'autre revenant aux français, les allemands n'aidèrent pas les pompiers à éteindre l'incendie de l'autre côté.)
De chaque côté des murs, se trouve une rigole pour recueillir l'eau des infiltrations.
Puis le sous officier avec qui j'étais venu me demande d'aller chercher du renfort français et un bidon de 50 litres d'essence pour la moto pompe.
Je rentre à l'arsenal et après avoir fait mon rapport, il est décidé d' envoyer un renfort mixte de marins pompiers et sapeurs.
Faisant partie sur ma demande, du détachement mixte (marins pompiers, sapeurs) sous les ordres de deux officiers (Ollivier, Carquin), en tout 14 hommes, nous rejoignions l'abri Carnot, passant par le bassin Tourville.

Les allemands sont arrivés à l'endroit ou nous avions installé des hamacs pour 80 personnes, le 5 septembre.
Nous pataugeons dans un liquide sanguinolent et la masse des corps devient plus important, à mesure de la progression.
Nous sommes trempés de sueur, suffoquant par la chaleur intense, et la fumée, et surtout par l' horrible odeur de chair brûlée, mélangée à celle des matelas, couvertures ... et tout ce qui brûle.
Nous devons nous relayer souvent et plusieurs hommes, autant allemands que français subissent des commencement d'asphyxie et doivent être envoyés à l' air libre.
Nous sommes déprimés par cette vision d' enfer.
Puis nous arrivons au bas des 154 marches ou les corps sont agglutinés jusqu' en haut..
L' eau que nous projetons devant nous, nous revient bouillante, nous brûlant les pieds à travers les bottes.
Nous sommes dans l'obligation de marcher sur les cadavres pour pouvoir continuer. Au fur et à mesure de la progression nous arrosons les voûtes par le haut afin de ne pas détruire les restes des corps jonchant le sol et les marches...
La fameuse montée des 154 marches
Enfin nous avons atteint l'air libre et nous sortons en hâte, ayant terminé cette terrifiante besogne.
Un corps a même brûlé sur l'avant dernière marche ...
Entrée place Sadi Carnot.
Nous rentrons à notre abri à l'arsenal par les rues Suffren et Louis Pasteur.

lLa promiscuité au quotidien.
Suivant l'importance des bombardements beaucoup ne sortiront que plusieurs jours après.
On imagine aisément l'humidité régnant et les odeurs..

A peine rentré, le lieutenant Carquin tombe comme une masse, atteint d'un commencement d'asphyxie et doit avoir recours à de l'oxygène.Il allait f était son anniversaire, étant né le 9 septembre 1884).

Trois marins pompiers moins gravement atteints sont soignés par le maître et le matelot infirmier des marins pompiers.
Il faut savoir que l'abri abritait toutes sortes d'individus. Des civils Français, militaires Allemands, des membres de l'organisation Todt, des marins, des civils Allemands.
Le matin du 9 septembre, un allemand de l'organisation Todt, qui demeurait dans l'abri, venu pour voir s'il aurait pu récupérer quelques affaire, me dit qu'il y avait eu une violente altercation et qu'au cours de la bousculade, le feu avait pris dans l'essence (3 bidons de 200 litres étaient entreposés à environ 3 mètres cinquante des premières munitions) et que son chef avait tenté de l'éteindre avec une couverture et qu'il avait été propulsé à l' extérieur de l'abri par le souffle de l'explosion.
On estime le nombre de tués à 373 civils (une trentaine qui n'a pu être identifié) et environ 500 soldats allemands.
Parmi les français, seulement 45 personnes ont pu en sortir indemnes..

A l'époque les grilles d'accès place Sadi Carnot étaient dirigées vers les escaliers en descendant.
Donc s'ouvraient vers dedans.
Normal, si l'on considère le flux de population qui se rendait à l' intérieur de l'abri pour se protéger, pendant des raids aériens alliés.
Lorsqu'il y a eu l'incendie et dans la panique, les premiers purent sortir, mais très vite la porte de sortie fût assiégée et les grilles, dans la bousculade la plus folle se refermèrent empêchant ainsi les gens de sortir.
Les premiers essayèrent bien de tirer dessus mais la masse poussant ils se retrouvèrent pris au piège..
L'arrivée de croiseurs de la Kriegsmarine à la fin mars 1941 (Le Prince Eugen, Le Gneisenau et le Sharnhorst) augmenta le risque, la fréquence et la violence des bombardements.

C'est au printemps suivant que fût creusé en 1942, l'abri Sadi Carnot. Le chantier prit fin en 1943.
C'était en fait un souterrain long de 560 mètres creusé sous les remparts de la ville. On y accédait par deux entrées situées place Sadi Carnot et la porte Tourville. Il faut gravir 154 marches.

Le 27 septembre, soit 18 jours après l'horreur qui s'était produit, une équipe de 6 volontaires descendra dans le gouffre pour essayer d'identifier les malheureux corps carbonisés.
Par endroit, il y avait jusqu 'à un mètres cinquante de corps entassés les uns sur les autres..

La photo ci-contre a été prise le 19 septembre place Sadi Carnot. Un médecin français de la croix rouge examine un des drapeaux qui avait été placé à chaque entré

 

De nos jour l'abri Sadi Carnot a bien changé.
Il est possible de le visiter une fois l'an, lors de la journée nationale d'ouverture des monuments français. Ou alors par l'intermédiaire de l' association Brestoise de l'université européenne de la paix.
Un écran de cinéma permet de voir quelques images de Brest durant l'occupation.

Une partie du site est aménagé pour y regarder un film sur les bombardement de Brest.
Le silence est de rigueur, car ayons à l'esprit toutes les victimes qui y sont décédés.
C'est un lieu chargé de mémoire...de mémoire grave.

L'humidité régnant à l'intérieur, certains noms de personnes qui y sont mortes ont disparu.

Liste Française des personnes mortes dans l'abri.
Les victimes Allemandes, civils et militaires ne figurent pas dessus.
Une grande partie des corps furent enterrés au cimetière de Kerfautras.
Il serait temps de poser une plaque funéraire digne de ce nom , dans ce lieu chargé d' émotion.

MAIS QUE FAIT LA MUNICIPALITE BRESTOISE... !!!

J'ai souvenance d'avoir vu la fille d'une victime pleurer en 2002 tout simplement par ce que le nom de sa maman avait été effacé par les eaux.
Actuellement la longue liste des noms est en papier scotché !!!

Les parois qui ont été re-cimentés se fissurent par endroit.

L'association Brestoise de l'université européenne de la paix, avec l'aide de ses membres est très présente à l'intérieur de l'abri.

©Martin François.
Remerciements

Mr Paul Carquin - Mr Hérvé Cadiou.
Photo coll auteur.