Lieutenant HOWARD .W.HULBERT

LE PILOTE OUBLIÉ

Récif de Tétembia, côte Ouest de la Nouvelle-Calédonie, 8 heures du matin.
Aprés quelques va et vient du lanceur, le moteur de la drague pétarade.
L'eau de mer s'engouffre brusquement dans la crépine d'aspiration, la pompe refoule, gonflant aussitôt le long tuyau jaune qui s'amine tel un gigantesque serpent.
A l'extérieur, cinq mètres sous la surface, Jean-Pierre Follard, buse en main, aspire les sédiments recouvrant l'épave d'un avion de chasse américain de la dernière guerre.
Une pale d'hélice plantée bien verticalement dans le sable, un sommet déchiqueté de cockpit qui apparaît et plus loin, en arrière, un moteur et sa rangée de six pipes d'aspiration, matérialisent l'appareil.

 

6 juin 1944 - 6 juin 1994

Les Français de l'Hexagone ont commémoré avec faste et émotion, le cinquantenaire du débarquement des troupes alliées en Normandie.
Mais combien de nos compatriotes connaissent la date du 12 mars 1942 ?

Ce jour là, la Nouvelle-Calédonie devenait le théâtre du premier débarquement des troupes Américaines en terre Française... des antipodes.
Le 7 décembre 1941, les Etats-Unis s'engageaient dans le conflit mondial, contre l'armée impériale Japonnaise, aprés l'attaque surprise de la base navale de Pearl Harbor aux îles Hawaï.
La grande terre calédonienne, point de départ de la contre offensive alliée, deviendra, durant quatre années, base opérationnelle puis support logistique pour tout le pacifique sud.
La capitulation du Japon, signée le 2 septembre sur le Missouri en rade de Tokyo, imposa le retrait progressif des troupes alliées stationnées sur le "caillou", qui abandonnèrent un matériel de guerre considérable, dont une partie fut volontairement immergée.
L'association "Fortune des mers calédonniennes", dont nous sommes membres, s'intéresse principalement au riche patrimoine maritime de son île.
Nous nous sommes alors attelés à un recensement des nombreux vestiges Américains engloutis dans le lagon.

La suceuse hydraulique refoule à l'extrémité de la buse en pvc, un important panache de sable chassé par le courant. L'excavation laisse apparaitre de nombreux cadrans et commutateurs du tableaux de bord et des leviers de commande.
Cet appareil, non répertorié, connu par de rare pêcheurs sous marins, fût découvert quatre ans auparavant par Jean Michel Leguere qui collabore aujourd'hui avec enthousiasme à ce travail de désensablage.
Aprés quatre heures d'aspiration ininterrompue, l'appareil se présente incliné sur le côté gauche.
Jean-Paul Mugnier, ingénieur de l'aviation civile, spécialiste des enquêtes sur les accidents aéronautiques, l'identifie avec certitude: chasseur BELL P39K AIRACOBRA, propulsé par un moteur Allison de 1200 chevaux, 12 cylindres en V.
La casserole de l'hélice, traversée par un canon de 37 mm, est cabossée.
Deux des pales sont pliées à 90° témoins d'un contact violent, mais la troisième est intacte, ce qui prouve que le moteur était arrêté au moment de l'impact.
En avant du tableau de bord, le fût d'une des deux mitrailleuses Colt Browing de 12,7 mm est en parfait état, son chargeur rempli de balles de calibre .50
L'appareil représentait une force de feu impressionante pour l'époque.
A moins de 200 mètres de là, sur le récif gît l'épave disloquée du vapeur Saint Antoine,échoué en 1928, qui servait de cible pour l'entrainement des pilotes de chasse et de bombardement.
Le crash serait il consécutif à un exercice de ce genre ?
Jean-Pierre, du fond de lhabitacle, telle une taupe, dégage de nombreux morceaux de tôle, de verre, de tuyaux et de coraux, par l'ouverture de la portière droite.
Occupé à prendre des clichés, j'observe une sorte de tube long d'une trentaine de centimètres que vient de déposer mon compagnon. Je me rends compte en m'approchant qu'il s 'agit en fait d'un os long sans épiphyse.
Je le place devant ma jambe : sans aucun doute, il s'agit en fait d'un tibia...!!!
Je me précipite sur Christian. Stupéfait, il continu de filmer en direct.
Jean-Pierre nous montre à présent, la calotte crânienne de ce malheureux pilote, oublié depuis 50 ans.
Nous sommes tous boulversés et la réalité qui nous dépasse, nous submerge d'émotion.
Nous continuons à fouiller, à rassembler les nombreux ossements.
Nous trouvons deux semelles de bottes de grande pointure portant la date de 1936, une paire de lunettes de soleil, des morceaux de gilet de sauvetage.
(la célébre mae west B3), un écouteur, une montre encore munie de la moitié du bracelet en cuir et un bouton.
De retour au camp de base, sur la prequ' île de UITOE, nous décidons de prévenir nos amis de l'Association resté à Nouméa, afin de prendre, ensemble, les décisions les plus appropriées.
Le lendemain, nous continuons à rechercher ce qui peut aider à l'identification. Hélas, aucune plaque matricule ne sera retrouvée...
A l'issue de la seconde journée, nous décidons de regrouper l'ensemble des reliques du pilote dans un filet que nous placons sur son siège.
Nous inversons ensuite la drage afin de réensabler le cockpit.
Tous réunis autour de l'épave, nous nous receuillons pendant une longue et poignante minute avant de refaire surface.
Le soir même, Raymond Proner, notre président, déclarait notre découverte à la gendarmerie la plus proche.
A partir de ce moment, les démarches ont été engagées par les autorités officielles Françaises reprensentées sur le territoire par le délégué du Gouvernement Alain Christnacht et Mme Floyd, Première Secrétaire à l'Ambassade des Etats-Unis aux îles Fidji.
Deux mois plus tard, une mission Américaine débarque en provenance d'Hawaï.
Le capitaine Marshall Nathanson est accompagné d'un médecin anthropologue, le docteur Richard Harrington, d'un photographe Jean-Paul Ruch et du sergent Géraldine Popp.
Ils appartiennent au laboratoire central d'identification de l'armée Américaine, installé à Honolulu.
165 membres du "USA CIL" d'HawaÏ sont à la recherche des soldats Américains disparus, les fameux MIA (Missing In Action).
Ils se déplacent dans le monde entier et parfois dans les conditions les plus extrèmes, principalement au Viet-nam, au Laos et au Cambodge.
Nous apprenons que cet organisme n'a encore jamais eu à intervenir sous la mer...
Raymon Proner coordonne la mission de récupération des restes du pilote qui prend le nom officiel de :
"Operation Airacobra ".
Le haut Commissaire met à notre disposition l'îlot Lepredour pour installer notre camp de base.
La Marine Nationale fournit un zodiac, deux marins et un officier nageur de combat. La Gendarmerie Nationale, sa vedette arcor et son équipage.
Nous utilisons notre propre matériel, drague, compresseur, bateau et assurons l'intendance.
Sur site, nous récupérons d'abord le filet contenant les reliques avant de continuer à aspirer pour vider complètement le cockpit.
Les sédiments sont soigneusement tamisés.
Nous trouvons un quart et un demi dollar.

Lorque nous dégageons un demi maxillaire, dont deux des dents sont plombées, le docteur Harrington s'écrie :

" it's a big success ! "

En effet, cette pièce est capitale pour l'identification à l'aide des fiches anthropométriques.
Un parachute de levage de 1000 litres nous permet de déplacer le moteur et de récupérer sa plaque d'identification, précieux indice supplémentaire.
Le nom du pilote ne sera révélé qu'aprés deux contres expertises afin de ne laisser aucune place au doute ou à l'erreur.
la famille du disparu sera alors informée.
13 juillet 1994, en homage au pilote inconnu, le général Delhome, commandant supérieur des FANC, préside une cérémonie sobre et émouvante à la base aéronaval de Tontouta en présence des autorités militaires, de la mission Américaine et des membres de notre association.

Aprés une prière et la sonnerie au mort, le cercueil du premier Lieutenant HOWARD W HULBERT, recouvert du drapeau des Etats-Unis s'est envolé pour Hawaï.
Alors que nous regardons partir vers sa terre natale la dépouille de ce valeureux soldat Americain, nous avons une pensée pour un autre pilote, Français celui-là disparu, aux commandes d'un P38, au dessus de la méditérannée il y a cinquante ans, presque jour pour jour Antoine De Saint-Exupéry.
EPILOGUE

Le premier lieutenant HOWARD W HULBERT, né 11 juillet 1920, décolle de la base de Tontouta le 28 novembre 1942 afin d'effectuer une mission
d'entraînement de bombardement en piqué à bord d' un chasseur P39 AIRACOBRA (CAVU GP - 39 K - 1 BE airplane SN 42 - 4371 ) à proximité de l' épave du vapeur Saint Antoine, échoué en 1928, sur le récif de Tétembia.

Alors qu'il amorce un piqué, il commence à descendre en vrille et touche l'eau approximativement à 400 miles à l'heure.
Les recherches entreprises à l'époque ne permettent pas de le retrouver.
Le 23 septembre 1948, il est officiellement décidé que les restes du premier lieutenant HULBERT sont introuvables.

William, le frère cadet, âgé aujourd'hui de 72 ans, qui fût lui même pilote de bombardier pendant la guerre du pacifique, avec 40 missions de combat, dont la base aéronavale de Truk et l'île d'Iwo Jama, fit parvenir une lettre chargée d'émotion et de reconnaissance aux plongeurs de l'association fortune de mer calédonnienne, ainsi que de nombreux documents et photographies.

Les funérailles organisées par le gouvernement des Etats-Unis au cimetière d'Arlington furent grandioses.
Cercueil tiré par six chevaux, orchestre de cinquante musiciens, 21 salves tirées par les cadets et le survol d'une patrouille de quatre F16.

79 000 soldats Américains sont encore actuellement portés disparu sur tous les théâtres d'opération de la planète depuis la fin du second conflit mondial.
De 1990 à 1995 seules 51 victimes ont été retrouvées.

Renseignements communiqués par le C.I.L. d' Hawaï consernant la disparition du pilote US retrouvé par l'association fortume de mer calédonnienne.

Remerciements :

Association fortume de mer calédonnienne

Marine Nationale
Photos :

M LONG
M LARUE Pierre
Famille HULBERT
MARTIN François











 



 

 

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